TEXTE INÉDIT – un monde qui touche à sa fin

12 avril 2017
Nous avons appris ce matin la disparition de John Warren Geils Jr.
Les lecteurs du premier roman de sergeDEFT, DES LARMES COMME DES BANANES, se souviennent du strip-tease effectué par la délicieuse Pam Pam dans une chambre d’hôtel sur la version live de Serves You Right to Suffer du puissant J. Geils Band (Full House- 1972).
Dans la journée, sergeDEFT nous a fait parvenir un chapitre de son prochain opus, VILAINES HISTOIRE POUR MAUVAISES PERSONNES, en nous demandant de le publier comme un hommage à tous les musiciens de rock qui nous ont quittés.
Texte déposé. La mise en page d’origine a été adaptée pour internet. ©sergeDEFT – 2017

Alfred appartient à un monde qui touche à sa fin.

Un monde bientôt anéanti,
sans bombe,
mais miné par la dégénérescence organique,
et exterminé par des assuétudes incorrigibles.
Un monde qui finit de crever à petit feu ;
une combustion de l’intérieur par ces propagations insidieuses.

Les splendides embrasements d’autrefois sont maintenant éteints.

Même les attrayantes flambées éphémères de quelques pyromanes ingérables ne sont plus que poignées de résidus refroidis, noirâtres et pulvérulents, qui s’échappent entre les doigts.

Un monde à court d’allumettes.

Quand le cerveau d’Alfred se met à arpenter les rayonnages affaissés de son passé qui s’efface,
c’est pour retarder, encore un peu, encore une fois, la disparition d’une ère de boucan rageur et cathartique.
Mais, sous le crâne du barman, plus un bruit.
Ne défilent que les vestiges d’une planète calcinée sur lesquels hurlent uniquement des acouphènes exponentiels.
C’est devenu une étendue vide avec des lieux désertés, où des courants d’air vont promener des cendres ad vitam æternam.

Continuer à vivre ainsi,
avec des images anciennes dans la tête,
c’est réveiller constamment des fantômes.
C’est cohabiter avec des guitaristes morts,
des bassistes morts,
et des batteurs morts
dans un environnement de désolation.

C’est relire une liste de noms qui s’allonge toujours.
C’est aussi cheminer — à grandes enjambées — très près de tombes qui s’alignent, serrées les unes contre les autres, avec une rigueur saisissante.
Qui vivrait ça sans frémir ?

Pour Alfred, faire réapparaître des visages de disparus,
c’est ne pas — tout à fait — se résigner devant l’inéluctable.
C’est retenir le temps, ou du moins le suspendre.

Mais on ne s’évade pas du temps.

Les courants d’air finiront par disperser les cendres.

Arriveront aussi à dissiper totalement l’odeur âcre qui flotte dans les crématoriums.

©sergeDEFT – 2017
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